mardi 1 mai 2007

Texte de François Quintin



Quelques mots sur une œuvre en devenir



J’imagine. Une salle noire. J’entre. Une image noire et blanche, format paysage, comme au cinéma. Des êtres à peine humains, trois ou quatre, dessinés au trait, se meuvent, indolents,  isolés, sur une île à peine plus grande que leurs gestes. Je m’approche. Les personnages s’animent de plus en plus, comme s’ils sentaient ma présence inopportune. Je suis saisi par la précision des mouvements, et la grâce des gestes. Très vite, les visages se déforment, les bras et les jambes sont pris de convulsions, les poils poussent, les sexes se métamorphosent, passant du féminin au masculin, ou inversement. Le bruit, les cris, les rythmes m’oppressent. Tout concourt à me faire fuir. L’œuvre me rejette. L’excitation montante des corps pris dans des tourments chamaniques attaque violemment les conventions sociales qui m’avaient pourtant amenées sereinement jusqu’à ce musée, viole ma bonne éducation urbaine, entache la représentation hédoniste et rassurante que je m’étais faite de ma sexualité.
Julie Faure-Brac est depuis longtemps attirée par ces rites de possession, cette proximité spectaculaire de l’extatique, du sacré et de la sauvagerie. Avec le danseur/chorégraphe Rachid Ouramdane, Julie Faure-Brac met en œuvre un vocabulaire grotesque de la démence, un inventaire improbable de la bestialité contenue ou réprimée qu’on aura crainte de reconnaître. Il y a dans ces Incantations la mise en crise des convenances, des barrières que la vie sociale impose arbitrairement, au nom d'une violence plus grande encore : les bonnes manières. Mais le désir à l’état brut est une matière hybride,  « transgenre » dirait-on. Le corps dans cette possession devient l’expression d’une scission. C’est le théâtre intime où l’épouvante et la jouissance se confondent, le lieu aussi du surgissement fragile de toute création. Georges Lapassade, philosophe, spécialiste des rites de possession, et membre fondateur du fameux Living Theater a dit à propos de la dissociation que la psychanalyse a tant cherché à traduire en terme de pathologie, qu’elle a été pour lui une ressource dans son travail d’ethnologie, mais aussi dans son esthétique du théâtre, et que « nous naissons dissociés [et] nous passons notre temps à construire et reconstruire notre identité. » Les Incantations de Julie Faure-Brac montrent un état de suspension, une île où des être sans identité sont la proie de cette mutation obsédante du corps par la grâce de notre seule présence, comme sous l'influence secrète de nos désirs muet.



François Quintin



 

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