mardi 1 mai 2007

Texte de Gaël Charbau



Dessin avec le ventre



Au centre d’un paysage de collines hostiles, où les arbres semblent avoir été arraché comme de la mauvaise herbe, deux personnages debout, nus et à l’allure primitive. Entre eux, un arbre sans feuille dont les branches courtes se tordent dans un ciel transparent. De son tronc noueux coule un liquide blanc, que l’un des personnages accueille dans ses mains jointes. En dessous un marre est formée, elle baigne les individus jusqu’aux genoux. De part et d’autre, deux amoncellements de terre noire, de racines et de corps, coupés par les bords de la feuille. En attendant… 2006 (30X42cm) est à la fois inspiré d’En attendant Godot de Beckett, et d’une photo prise à Verdun en 1916 montrant deux soldats les pieds dans la boue.
Mais au fond, peu importe l’origine des dessins de Julie Faure-Brac, ils frappent d’abord l’imaginaire à la manière d’un fantasme, pour peu que l’on puisse ainsi reconnaître un fantasme : une scène, des personnages, une action, un affect dominant, et la présence symbolique d’une partie ou d’une fonction définie du corps. Ils sont presque toujours traversés d’insinuations érotiques (tour érigée bordée par de l’herbe – ou des poils, « cratère » remplit de liquide blanc, omniprésence d’orifices, de terre, de bouches, personnages qui urinent…

Dans Fissures, 2006, dont la composition relativement symétrique est comparable à En attendant…, deux personnages sont cette fois présentés de dos. Ils contemplent une source laiteuse qui longe les collines depuis la base d’un sapin jusqu’à un petit lac. Au premier plan, deux masses rocheuses nous séparent de la scène à la manière d’un rideau de théâtre. A mesure que je regarde ce dessin, je ne peux m’empêcher de comparer ces deux roches à deux « fragments » de cuisses, ouvertes, dont le centre (le sexe) serait en tension avec les personnages, le lac laiteux, la rivière, puis l’arbre plus loin. Dans cette hypothèse, il s’agirait d’un sexe de femme. Rien ne permet de le vérifier. Le dessin semble avoir été composé plan par plan, avec cette dimension suffisante laissée au hasard et à l’inconscient pour qu’apparaisse ce « monde-autre », cher à l’artiste, ce monde de projection que notre langage cherche à recoudre.

Le dessin, en particulier en noir et blanc, est certainement dans l’air, mais la pratique de Julie Faure-Brac est suffisamment inspirée pour passer au-dessus des tendances. Il s’agit d’un style de dessin quasiment sans ombre, souvent composé de petits traits immobiles, précis, à l’épaisseur uniforme. Dans les oeuvres avec « paysage » par exemple, ces petits traits occupent généralement l’espace comme le ferait une barbe de trois jours, poussant avec une obstinée régularité sur le support.
En ce qui concerne l’objet du travail, il est, me semble-t-il, exactement porté par la technique simple et épurée qu’utilise l’artiste : ce sont nos corps pleins de poils de cheveux et d’animalité que Julie Faure-Brac représente, notre trop-plein de corps, pas celui des magazines et des retouches, mais ce corps sauvage et fou, proche de l’animal, inscrit dans la nature, agissant avec la nature, fasciné par la nature, omniprésent même lorsqu’il n’est pas directement représenté.
Derrière l’apparente légèreté de la facture des images –on pense bien sûr au dessin d’illustration pour enfant, avec cette pointe de naïveté et de tendresse- c’est souvent une violence profane qui est en jeu. Julie Faure-Brac fouille les souches de récits fondateurs, qui croisent la figure de l’animal, de la sexualité, de la mort ou de la cruauté. Dans « les mangeurs de branches », par exemple, deux personnages pissent et pleurent en dévorant un arbre. On ne sait pas très bien si ils jouissent ou si ils souffrent.
Or c’est justement ce que l’artiste parvient le mieux à nous donner : le sentiment d’être témoin d’un culte dont les coutumes seraient intimement liées à la pratique du dessin lui-même, où les figures se plieraient non seulement à l’imaginaire et à la volonté de celle qui les crée,  mais aussi et surtout à la pulsion même du corps, bien réel, qui les dessine.

Gaël Charbau





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