mardi 1 mai 2007

Texte de Valérie Da Costa



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Le monde dans lequel nous vivons n’est pas propice aux rêves ou peut-être, paradoxalement, l’est-il car sa faible propension à l’évasion est un support idéal pour la quête d’un ailleurs. Le jeune travail de Julie Faure-Brac semble regarder de ce côté-là. Depuis environ trois années, l’artiste a mis en place un travail dessiné, sculpté et vidéo qui est tout entièrement tourné vers la nature et dans lequel elle développe très largement certains de ses archétypes : fertilité, abondance, sustentation. On y voit du lait couler des arbres, des corps (morts) se liquéfier et devenir des points d’eau, des figures qui sont à mi-chemin entre l’homme et l’animal et dont on ne sait trop si elles précèdent ou si elles suivent l’humain. Ce que l’on sait, c’est que ces êtres hybrides, au corps d’homme ou de femme et à tête de loup ou de sanglier, incarnent le cycle ininterrompu de la vie.
Dans ses dessins qu’ils soient à petites ou à grandes échelles, des eaux-fortes ou des wall drawings, ces figures hybrides sont représentées occupées à d’étranges situations : les mains ou la tête plongées dans l’eau d’une nature alpestre, vierge et pure où elles semblent venir se ressourcer. Etonnamment, quand elles ne sont pas saisies dans cet acte animal vital, elles regardent le spectateur et nous prennent à partie pour signifier l’état de leur métamorphose et de leur désormais très énigmatique existence encore humaine (?).
Ces Humanimaux, comme les nomme l’artiste, sont aussi le sujet de ses installations sculptées. Proches d’une esthétique hyperréaliste, ils sont envisagés grandeur nature, en plâtre, selon la technique du moulage avec laquelle l’artiste joue pour affirmer leur identité sexuelle.
Cet hybride convoqué est d’autant plus surprenant que Julie Faure-Brac renoue avec un langage absent de la création contemporaine, semblant ainsi poursuivre une généalogie de formes et de figures que les surréalistes, puis certains artistes des années cinquante, telle Germaine Richier, ont contribué à développer.
La métamorphose qui est à l’œuvre est une forme de continuité entre le naturel et le surnaturel, selon la notion antique de thaumata (« chose étonnante ») car il s’agit bien ici d’une rencontre entre le réel et l’imaginaire. Ces Humanimaux sont les esprits réincarnés des hommes morts de leurs violences, et la nature est là pour les protéger de leur destruction. On pense inévitablement à la quête utopiste de Jean Arp et Sophie Taeuber-Arp, qui pendant la Première Guerre mondiale, à Zürich, défendaient l’idée que seule la nature pouvait sauver l’homme de la folie de la guerre, et faisaient ainsi entrer dans leur répertoire formel des motifs organiques.
Les œuvres de Julie Faure-Brac s’intitulent Lape moi, Mate moi, des mots d’ordre ou invitations impératives qui soulignent la part sexuelle suggérée de manière omniprésente dans ses réalisations. D’autres, La rivière des morts ou Le lac des morts qui indiquent que ce travail regarde aussi du côté du symbolisme, des eaux troubles et noires de Böcklin et de son Ile des morts ou encore des visions nocturnes des peintures de Degouve de Nuncques. Une rencontre qui ne manquera pas de surprendre quand on sait que la jeune artiste affectionne la lecture de Sade, de Sacher-Masoch et de sa Vénus à la fourrure, soit la confrontation de mondes où les forces obscures expriment les pulsions du corps et de ses désirs. En exergue à son travail, elle aime citer cette phrase de Deleuze dans sa Présentation de Sacher-Masoch : « Il ne s’agit pas de croire le monde parfait, mais au contraire de « s’attacher des ailes », et de fuir ce monde dans le rêve. Il ne s’agit pas de nier le monde ou de le détruire, mais pas davantage de l’idéaliser ; il s’agit de le dénier, de le suspendre en le déniant, pour s’ouvrir à un idéal lui-même suspendu dans le phantasme. » C’est dans l’univers mystérieux de la forêt - qui lui est familier et appartient à son quotidien - que Julie Faure-Brac ancre les sources de son travail et qu’elle situe ses histoires de transmutation, là où ses êtres à la double identité incarnent à la fois Eros et Thanatos, le plaisir et la souffrance.



Valérie Da Costa

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