Monde Poilu
Il s’est trainé dans les hautes herbes qui se confondaient avec sa
toison. Il a reniflé la terre, remué les feuilles humides, enfouit
son museau dans l’humus, creusé son trou. Il est là, maintenant à
quatre pattes la gueule prise dans le reflet de la marre où il vient
s’abreuver. Elle regarde en silence l’animal au corps blanc siroter
le jus noir.
Rien, du regard clair et de la silhouette frêle de Julie Faure-Brac,
ne laisse soupçonner l’univers graphique à la lisière duquel elle
évolue. Celui-ci est fantasque, sinon fantastique. C’est un monde
inquiétant et troublant où rôdent et déambulent des figures sans
âge, des personnages grotesques, qui errent ou s’affairent dans une
nature sauvage et intemporelle, un monde surnaturel parfois hostile
et parfois drôle.
Êtres Hybrides peuplant des terres dévastées, des forêts profondes,
des talus herbeux et des ravins désolés, mangeurs de bois, buveurs
de lait rance coulé des arbres, acrobates de branches, réfugiés des
terriers, figures mutantes d’un passé prochain, d’un futur
recomposé, ces figures primitives et nues sont pourtant, par bien
des aspects, nos semblables. Perdues, menacées, menaçantes, égarées,
décalées elles chutent, décollent, dansent. Leurs membres sont
élastiques et réversibles, leurs figures hirsutes.
Les différents médiums qu’utilise Julie Faure-Brac (photo, dessin,
sculpture, vidéo), malgré l’hétérogénéité apparente des effets
plastiques, construisent pourtant un dispositif homogène dont le
liant est la fiction. Plusieurs éléments et notions s’y font écho
(matières, personnages, environnements, symboles…) produisant une
série de réseaux et de territoires où chaque partie vient trouver sa
place.
Ses gravures et ses dessins sont de petits et moyens formats tracés
de lignes fragiles, mais fouillées, qui puisent leur inspiration
autant du côté de la bande dessinée que dans les sombres eaux-fortes
de Goya. Le sol ou l’air fourmille de virgules noires régulières qui
se cristallisent ou s’aimantent pour former paquets, végétation
sommaire, fourrure et poils. L’imaginaire qu’elle y tisse est
nourrit aussi bien de souvenirs de contes que des lectures de
Georges Bataille et bien entendu de Samuel Beckett.
Peut-on cependant vraiment parler d’une mythologie personnelle en ce
sens que tout y est, par définition même, hybridation culturelle.
Entre paradis perdu et paysage désolé d’une après catastrophe, ce
paysage est un décor minimum, une scène sommaire où se joue
l’absurde. Les sculptures mi-animales mi-humaines s’inscrivent ainsi
dans une longue tradition du monstrueux et du merveilleux qui
peuplent les mythes de tout temps Divinités archaïques de la
Mésopotamie, des Amériques (du sud au nord) et de l’Afrique, satires
ou sirènes, gorgones ou centaures, gargouilles et chimères, figures
des métamorphoses.
Si ces êtres nous ressemblent parfois, c’est bien davantage par
leurs comportements que par leur apparence (quoique), ils incarnent
des archétypes de l’humanité par leur sauvagerie, leur archaïsme,
leurs rites. Certains vivent seuls terrés dans une motte de poils,
d’autres s’agitent en bandes ou vivent en colonies sur les flancs
d’un cratère sans fond. Ils bâtissent d’improbables demeures pour
pouvoir tourner autour, ou danser aux sommets des terrasses, Ils
regardent aussi pleuvoir les pierres et parfois tombent comme des
feuilles. Souvent ils ne font rien.
Ils nous ressemblent, surtout par l’expression animale de nos désirs
ou de nos instincts. Équivoques ou ambigus à souhait, ce sont nos
doubles qui remuent et se déchainent dans ses corps patauds secoués
sans fin de tremblements.
Philippe Agostini
Texte écrit par Philippe Agostini
pour l’exposition Monde Poilu à l’IUFM de Chaumont
du 5 novembre au 26 novembre 2009
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