vendredi 30 octobre 2009

Texte de Philippe Agostini

Monde Poilu


    Il s’est trainé dans les hautes herbes qui se confondaient avec sa
   toison. Il a reniflé la terre, remué les feuilles humides, enfouit
   son museau dans l’humus, creusé son trou. Il est là, maintenant à
   quatre pattes la gueule prise dans le reflet de la marre où il vient
   s’abreuver. Elle regarde en silence l’animal au corps blanc siroter
   le jus noir.

   Rien, du regard clair et de la silhouette frêle de Julie Faure-Brac,
   ne laisse soupçonner l’univers graphique à la lisière duquel elle
   évolue. Celui-ci est fantasque, sinon fantastique. C’est un monde
   inquiétant et troublant où rôdent et déambulent des figures sans
   âge, des personnages grotesques, qui errent ou s’affairent dans une
   nature sauvage et intemporelle, un monde surnaturel parfois hostile
   et parfois drôle.

   Êtres Hybrides peuplant des terres dévastées, des forêts profondes,
   des talus herbeux et des ravins désolés, mangeurs de bois, buveurs
   de lait rance coulé des arbres, acrobates de branches, réfugiés des
   terriers, figures mutantes d’un passé prochain, d’un futur
   recomposé, ces figures primitives et nues sont pourtant, par bien
   des aspects, nos semblables. Perdues, menacées, menaçantes, égarées,
   décalées elles chutent, décollent, dansent. Leurs membres sont
   élastiques et réversibles, leurs figures hirsutes.

   Les différents médiums qu’utilise Julie Faure-Brac (photo, dessin,
   sculpture, vidéo), malgré l’hétérogénéité apparente des effets
   plastiques, construisent pourtant un dispositif homogène dont le
   liant est la fiction. Plusieurs éléments et notions s’y font écho
   (matières, personnages, environnements, symboles…) produisant une
   série de réseaux et de territoires où chaque partie vient trouver sa
   place.

   Ses gravures et ses dessins sont de petits et moyens formats tracés
   de lignes fragiles, mais fouillées, qui puisent leur inspiration
   autant du côté de la bande dessinée que dans les sombres eaux-fortes
   de Goya. Le sol ou l’air fourmille de virgules noires régulières qui
   se cristallisent ou s’aimantent pour former paquets, végétation
   sommaire, fourrure et poils. L’imaginaire qu’elle y tisse est
   nourrit aussi bien de souvenirs de contes que des lectures de
   Georges Bataille et bien entendu de Samuel Beckett.

   Peut-on cependant vraiment parler d’une mythologie personnelle en ce
   sens que tout y est, par définition même, hybridation culturelle.
   Entre paradis perdu et paysage désolé d’une après catastrophe, ce
   paysage est un décor minimum, une scène sommaire où se joue
   l’absurde. Les sculptures mi-animales mi-humaines s’inscrivent ainsi
   dans une longue tradition du monstrueux et du merveilleux qui
   peuplent les mythes de tout temps Divinités archaïques de la
   Mésopotamie, des Amériques (du sud au nord) et de l’Afrique, satires
   ou sirènes, gorgones ou centaures, gargouilles et chimères, figures
   des métamorphoses.

   Si ces êtres nous ressemblent parfois, c’est bien davantage par
   leurs comportements que par leur apparence (quoique), ils incarnent
   des archétypes de l’humanité par leur sauvagerie, leur archaïsme,
   leurs rites. Certains vivent seuls terrés dans une motte de poils,
   d’autres s’agitent en bandes ou vivent en colonies sur les flancs
   d’un cratère sans fond. Ils bâtissent d’improbables demeures pour
   pouvoir tourner autour, ou danser aux sommets des terrasses, Ils
   regardent aussi pleuvoir les pierres et parfois tombent comme des
   feuilles. Souvent ils ne font rien.

   Ils nous ressemblent, surtout par l’expression animale de nos désirs
   ou de nos instincts. Équivoques ou ambigus à souhait, ce sont nos
   doubles qui remuent et se déchainent dans ses corps patauds secoués
   sans fin de tremblements.


Philippe Agostini



Texte écrit par Philippe Agostini
pour l’exposition Monde Poilu à l’IUFM de Chaumont
du 5 novembre au 26 novembre 2009

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire