Cycle "1 site, 1 artiste"
Oeuvre fugitive #02
Julie Faure-Brac
Ce qui peut arriver...
du 28 février au 2 Juin
la Comédie, Reims
vernissage mardi 28 février 19h
Initié par l’association fugitive, le cycle « un site, un artiste » invite l’artiste Julie Faure-Brac à intervenir dans le hall singulier de la Comédie de Reims, doté de dimensions monumentales. Pour celui-ci l’artiste a réalisé des sculptures d’êtres hybrides, mi-humains, mi-animaux qui évoquent la métamorphose, le chamanisme mais aussi une sorte de malédiction, la chute des damnés.
Deuxième artiste invitée du Cycle
"1 site/1 artiste", Julie Faure-Brac a décidé d’utiliser
la sculpture répondre à l’invitation d’intervention dans le
hall de la Comédie. Son œuvre
confronte homme et animal à travers une double interrogation. Quelle
relation entretenons-nous avec notre part d’animalité, de
sauvagerie, et réciproquement, qu’y a-t-il d’humain chez
l’animal ? Derrière ce face-à-face fantasmagorique,
semi-conscient, qui se nourrit d’une inspiration éclectique,
allant des figurations animistes des peuples du Grand Nord aux
gravures engagées de Goya, l’artiste cherche à sonder les fils
ténus qui nous unissent encore au sacré.
AF : L’association
Fugitive vous a contactée l’année dernière pour
vous proposer de participer au cycle « 1 site & 1 artiste »
à la Comédie de Reims.
Pourquoi avoir
décidé de participer à
ce projet ?
JFB : Je
connais Simon Coquelet depuis longtemps, on a travaillé ensemble sur
des pochettes de disques, c'est quelqu'un que j'apprécie beaucoup
pour son enthousiasme et sa curiosité. Lorsqu'il m'a parlé du
projet et m'a fait rencontrer Sarah, j'ai trouvé leur idée très
intéressante ; aller installer l'art dans des lieux insolites
m'a toujours enthousiasmé et cela m'inspire beaucoup. Ce n'est pas
la première fois pour moi, j'ai réalisé il y a quelques années
une installation de sculpture dans une ancienne porcherie, en
Haute-Marne, et plus récemment une installation en volume dans un
immeuble d'habitations, de Charleville, voué à la destruction. Des
projets comme cela poussent toujours à créer des choses nouvelles,
spécifiques aux lieux, à dépasser ses propres limites. Je connais
le bâtiment de la Comédie (j'ai fait mes études à Reims, à
l'ESAD) et le projet d'y exposer une œuvre in-situ m'a tout de suite
plu !
AF : Comment avez-vous abordé cette
question de la création d’une œuvre in situ qui vous a demandé
d’entrer en conversation avec l’architecture du hall de la
Comédie ? Est-ce que le lieu vous a guidé vers une voie que vous
n’imaginiez pas encore explorer ?
JFB : Depuis que je crée des installations,
le lieu d'exposition a toujours été déclencheur du projet, de
l'idée, de la forme, de la taille des œuvres. J'adore créer une
œuvre en fonction de son premier lieu d'exposition. Alors oui !
Le lieu m'a guidé et m'a donné la possibilité de créer des
sculptures suspendues, ce que je rêvais de pouvoir faire un jour et
que je n'avais pas l'occasion de faire. Quand j'ai vu cet espace tout
en hauteur, avec plusieurs points de vues, j'y ai tout de suite
imaginé suspendre des volumes. J'aime l'idée qu'une œuvre dialogue
avec l'espace, qu'elle n'y soit pas juste une pièce rapportée.
Ensuite des questions techniques se posent mais c'est toujours
enrichissant de se dépasser.
AF : Vous avez réalisé un travail très
minutieux, avec une méthode très précise. Des moulages de corps,
une structure en bois recouverte de papier, puis entièrement
crayonnée et recouverte de poil imprimé en monotype et collé
presque un par un. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Travaillez-vous notamment avec des esquisses préparatoires ?
JFB : Je fais quelques croquis préparatoires
mais très rapidement la nécessité de créer le volume s'impose. De
toute façon, je considère mes sculptures comme des dessins en
volume, et je fais rarement des croquis pour mes dessins. C'est le
trait ou la ligne qui construit petit à petit mes figures dessinées.
Je crée d'abord les moulages en plâtre
sur mon propre corps (on laisse toujours une partie de soi dans
l’œuvre...) puis j'ajoute des formes animales, en grillage
recouvert de papier. J'obtiens des corps hybrides, fantasmagoriques.
Je travaille effectivement de très longues heures sur chaque pièce,
c'est comme un rituel, ça en devient une obsession. Je dessine, je
découpe, je colle. Mes figures en volume sont comme dans mes
dessins, les corps humains sont bruts, blancs et les corps de bêtes
apparaissent grâce à l'accumulation des petits traits de crayons
noirs qui font naître la matière, poils, plumes...
AF : Que représente ce travail dans
votre parcours ?
JFB : Il y a quelques années j'ai commencé
un travail sur les « Porteurs d'esprits » où le corps
humain (entier) portait sur ses épaules, sur son dos tout le poids
de l'animal, esprit venant d'un monde autre, incarnation de nos
peurs, de nos fantasmes, de nos malédictions.
Ces « Corps en suspens »
exposés à la Comédie sont plus morcelés que les figures de
porteurs d'esprits. Le corps humain est incarcéré dans des corps
parasites, parties animales. Il s'agit en quelque sorte de nos corps
enchevêtrés dans le corps de cet Autre qui nous ressemble, qui nous
questionne, qui nous hante. Personnellement cela a une vertu
rassurante d'imaginer une métamorphose... Le corps humain seul,
l'espèce humaine isolée... cela ne me suffit pas. J'ai besoin
d'autre chose, de fantastique, de magie, de sacré.
J'ai nommé cette installation « Ce
qui peut arriver... » C'est une phrase qui peut être lu de
façon optimiste ou pessimiste, même ironique selon les points de
vue. Je suis moi-même partagée vis à vis de l'avenir de nos
relations à la nature et aux animaux. Parfois infiniment triste et
désespérée du constat de disparition des espèces, et de
disparition de respect envers ce monde dont on fait partie, parfois
confiante en un réveil empathique, en une prise de conscience et en
des réactions positives vis à vis de l'harmonie primordiale avec la
nature.
Nous sommes en suspens, tout peut
arriver, nous pouvons réagir.
AF : Pourriez-vous nous parler du projet de
performance que vous êtes en train de mettre en place et qui sera
présenté au prochain festival de la marionnette de Charleville ?
JFB : Le projet s'appelle « Une chasse
à l’envers », il s’agit d’une performance mêlant
sculptures portées, musique, arts de la marionnette, installation.
Cette performance transporte un groupe de spectateurs au cœur d’une
forêt, la nuit et lui offre une rencontre magique avec des animaux
de papier prenant vie grâce à la musique et à la manipulation
marionnettique.
Pour les spectateurs cela devrait être
une expérience forte en émotions et en magie ! Je l'espère !
Rendez-vous en septembre au festival mondial des théâtres de
marionnettes de Charleville-Mézières.
Je
me suis inspirée des chasses volantes ou fantastiques (mythes
populaires d'Europe centrale et du Nord), des figures étonnantes
d'hommes sauvages, du chamanisme. Cette performance prend comme sujet
la chasse, comme une quête spirituelle du gibier, un retour
archaïque et profond au dialogue avec les esprits. Le rituel créé
ici est une chasse à l’envers, un retournement du temps, une
cérémonie de réanimation des morts, de reconstruction des corps
(et oui, là aussi les corps sont morcelés!). Je voudrais insuffler
la vie dans l’inanimé. C’est en quelque sorte la problématique
même de la marionnette, et je crois d’une manière plus générale
de l’art.